mercredi, mars 28, 2007

Hypothèque Légale

1380. Le Code civil du Québec a aboli les « privilèges », mobiliers ou immobiliers, qui étaient présents dans le Code civil du Bas Canada comme dans les codes des autres pays de droit civil. Il a remplacé un certain nombre de ces privilèges, de même que l'ancienne hypothèque judiciaire, par des hypothèques légales. Ces hypothèques prennent naissance par leur inscription au registre approprié, sauf l'hypothèque du domaine de la construction : celle-ci existe de plein droit, mais sa conservation dépend de son inscription. Le Code civil crée cinq catégories d'hypothèques légales. D'une part, celles de l'État, celles des personnes morales de droit public et les hypothèques résultant de jugements ; il donne à ces hypothèques un caractère général : leurs bénéficiaires ont le droit de les inscrire contre tout bien saisissable du débiteur, meuble ou immeuble, choisi par eux. D'autre part, celles du domaine de la construction, portant spécifiquement sur l'immeuble à l'égard duquel les travaux ont lieu et celle au profit du syndicat des copropriétaires, également spécifique. L'hypothèque légale du locateur ne résulte pas du Code civil mais de la Loi d'application qui a créé pour elle une disposition transitoire d'une longue durée : les baux en existence avant 1994 pouvaient, sujet aux inscriptions appropriées, conférer jusqu'en 2004 une hypothèque légale remplaçant l'ancien privilège du locateur.

Plusieurs lois créent des hypothèques légales à caractère général ou spécifique.

Le législateur a prévu un mécanisme particulier pour protéger la personne dont le bien se trouve grevé d'une hypothèque légale - qu'elle n'a pas choisi de créer : elle a la faculté d'en obtenir la radiation, à certaines conditions, en la remplaçant par une autre sûreté.

De toutes les hypothèques légales, la plus utilisée est sans aucun doute l'hypothèque légale au profit des différents intervenants du domaine de la construction, à laquelle ont particulièrement recours les sous-traitants et fournisseurs de matériaux retenus par l'entrepreneur général et n'ayant pas contracté directement avec le maître d'oeuvre. En l'absence de lien personnel leur permettant de réclamer de celui-ci personnellement les montants dus pour leurs services ou matériaux, ils utilisent le lien réel créé par l'hypothèque légale sur son immeuble.

B. Dispositions applicables à l'hypothèque légale

1381. Le Code civil ne précise pas quelles règles régissent les hypothèques légales. Il y a sans doute lieu de leur appliquer, avec les transpositions nécessaires, toutes les règles du titre troisième sur les hypothèques. Ainsi, le titulaire d'une hypothèque légale a accès à tous les recours hypothécaires 2240 .

Les dispositions sur les hypothèques conventionnelles ayant trait à la constitution de l'hypothèque, à l'acte constitutif, au constituant ou à ses pouvoirs et capacités ne régissent évidemment pas les hypothèques légales. Ainsi, les restrictions relatives à la capacité de créer une hypothèque mobilière sans dépossession n'entrent pas en jeu pour les hypothèques légales, celles-ci pouvant affecter les meubles d'une personne physique qui n'exploite pas d'entreprise. Le législateur a remplacé les dispositions relatives à l'obligation principale garantie par hypothèque conventionnelle et à la somme pour laquelle elle est consentie par des dispositions particulières à chaque espèce d'hypothèque légale.

1382. Plusieurs articles contenus au chapitre des hypothèques conventionnelles ont un caractère plus neutre. Le seul auquel le législateur ( art. 2732 C.c. ) soumet expressément l'hypothèque légale est l' article 2700 C.c. , relatif à l'exercice du droit de suite sur un bien meuble, lors de la vente du bien grevé en dehors du cours des activités de l'entreprise. Qu'en est-il des autres ?

1383. Il est raisonnable de penser qu'elles s'appliquent à l'hypothèque légale avec les adaptations nécessaires, sauf incompatibilité. Ainsi, l' article 2695 C.c. déclare immobilière l'hypothèque (conventionnelle) sur les loyers. Si cet article n'entrait pas en jeu pour l'hypothèque légale, deux régimes de règles, y compris celles relatives à la publicité, coexisteraient en parallèle, rendant les hypothèques conventionnelles sur loyers opposables par inscription au registre foncier et les hypothèques légales sur loyers opposables par inscription au registre des droits personnels et réels mobiliers.

1384. L' article 2710 C.c. empêche l'hypothèque conventionnelle sur créances de valoir contre les débiteurs de ces créances à moins de notification, ou encore d'acceptation de leur part. Régit-il l'hypothèque légale que le porteur d'un jugement inscrirait contre des créances appartenant au débiteur ? Il serait étonnant que le fisc ou tout créancier porteur d'un jugement (hypothèque légale judiciaire) acquière par inscription des droits opposables aux débiteurs des créances qui appartiennent à leur propre débiteur, sans aucune notification 2241 . Les tribunaux étendront probablement à l'hypothèque légale la règle de l' article 2710 C.c.

1385. Les dispositions sur l'hypothèque ouverte ( art. 2715 à 2723 C.c. ) se rattachent aux seules hypothèques conventionnelles, puisque le caractère ouvert de l'hypothèque dépend d'une stipulation expresse contenue à l'acte constitutif ( art. 2715 c.c.) ; une hypothèque légale ne peut donc avoir ce caractère.

C. Objet de l'hypothèque légale

1386. Pour chaque hypothèque légale, le Code civil ou la loi constituante précise la catégorie de biens, meubles ou immeubles, sur laquelle elle peut porter.

1. Aperçu (n os 1388 à 1394)

1387. L'hypothèque légale est prise contre un bien appartenant au débiteur ou même contre un immeuble qui a fait l'objet d'une aliénation de sa part sans que cette aliénation soit inscrite. Il doit s'agir d'un bien saisissable. La question de la saisissabilité du bien à grever se pose fréquemment en rapport avec des travaux de construction sur des immeubles appartenant à l'État ou à des personnes morales de droit public ; les biens de ces dernières relèvent parfois de leur domaine privé mais parfois font partie du domaine public.

2. Bien appartenant au débiteur

1388. Le bien grevé doit appartenir au débiteur 2242 .

La jurisprudence du Code civil du Bas Canada reconnaissait à un créancier le droit d'enregistrer son hypothèque légale 2243 ou judiciaire 2244 sur l'immeuble dont le débiteur était encore le propriétaire enregistré, mais qu'il avait vendu à un tiers. Tant que le tiers acquéreur n'avait pas enregistré son titre, on tenait l'immeuble pour appartenir au propriétaire enregistré, c'est-à-dire au vendeur ; les créanciers de ce dernier pouvaient ignorer la vente consentie par leur débiteur quoique ces créanciers ne fussent pas des « acquéreurs pour valeur », à qui l' article 2098 C.c.B.C. rendait inopposable un titre non enregistré. Cette interprétation s'impose sous le Code civil, lequel reconnaît à « tout intéressé » (et non seulement un acquéreur pour valeur) le droit de se prévaloir des effets du défaut de publicité ( art. 2964 C.c. ). La vente immobilière non inscrite produit ses effets entre les parties mais, faute de publicité, n'en produit pas à l'égard des tiers ( art. 2941 C.c. ) : l'acquéreur ne peut donc opposer son titre d'acquisition au créancier de son vendeur, ni empêcher celui-ci d'y inscrire une hypothèque légale 2245 .

3. Bien saisissable

1389. Le bien grevé doit être un bien saisissable. Cette règle a ici une portée plus absolue que pour l'hypothèque conventionnelle. En effet, si le constituant d'une hypothèque a la faculté de renoncer à l'insaisissabilité du bien qu'il hypothèque 2246 - et il y renonce tacitement en hypothéquant le bien - le candidat à une hypothèque légale ne peut forcer son débiteur à renoncer à cette insaisissabilité 2247 . Ainsi, on nie au créancier porteur d'un jugement pour une somme inférieure à dix mille dollars le droit d'exécuter l'hypothèque légale qu'il a inscrite sur une résidence familiale 2248 . Rien n'empêche toutefois l'inscription d'une hypothèque légale contre un bien stipulé insaisissable, s'il y a eu renonciation antérieure par le propriétaire à cette insaisissabilité ou si la stipulation d'insaisissabilité s'avère invalide 2249 .

L'insaisissabilité du droit de propriété sur le fonds ne fait pas échec à l'inscription d'une hypothèque légale inscrite contre les droits - saisissables - de l'emphytéote 2250 .

4. « Biens affectés à l'utilité publique » - personnes morales de droit public

1390. Sous le Code civil du Bas Canada , la jurisprudence se partageait quant à la possibilité d'enregistrer des privilèges ouvriers sur des immeubles appartenant à des municipalités, des établissements d'enseignement ou des établissements en vertu de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (L.R.Q., c. S-42 ). Suivant la jurisprudence 2251 , il y avait lieu de distinguer entre les biens faisant partie du domaine privé de ces corporations et ceux faisant partie de leur domaine public.

Les articles 2220 et 2221 C.c.B.C. servaient d'appui à cette doctrine de la dualité domaniale des biens des corporations municipales et scolaires ; ils prononçaient le caractère imprescriptible des biens possédés pour l'usage général et public. Le Code civil du Québec paraît aller dans le même sens : l' article 2876 C.c. interdit de prescrire acquisitivement le bien hors commerce et le bien incessible ou non susceptible d'appropriation, par nature ou par affectation ; l' article 2795 C.c. dispose de son côté que la mise hors commerce d'un bien grevé d'une hypothèque a pour effet d'éteindre celle-ci ; de plus, l' article 916 C.c. énonce que « nul ne peut [...] s'approprier les biens des personnes morales de droit public qui sont affectés à l'utilité publique ». Le Code civil du Québec consacre ainsi la théorie de la dualité domaniale des biens des personnes morales de droit public et maintient la distinction entre ceux de leurs biens affectés à l'utilité publique et les autres. Les premiers ne sont pas susceptibles d'appropriation, ni prescriptibles ni susceptibles d'hypothèque légale. Les autres le seraient.

1391. Sur cette distinction entre domaine public et domaine privé et la possibilité d'inscription d'hypothèques légales sur biens appartenant à des corps publics, la jurisprudence se montre hésitante et changeante.

1392. Compte tenu du caractère exceptionnel de l'insaisissabilité, la règle voulant plutôt qu'on puisse saisir et grever tous les immeubles de privilèges ou d'hypothèque, certains jugements, rendus tant sous l'ancien code que sous le nouveau, ont adopté une vue restrictive sur ce qui fait partie du domaine public de ces corporations ; ainsi ils ont jugé qu'un bâtiment servant d'école et appartenant à une commission scolaire faisait partie de son domaine privé et, par conséquent, pouvait faire l'objet d'un privilège 2252 . À l'opposé, une rue fait partie du domaine public municipal et une hypothèque légale ne peut la grever 2253 ; il en va de même pour un parc public 2254 .

Un courant jurisprudentiel confirmé récemment par la Cour d'appel favorise une interprétation plus large, protégeant les biens publics et concluant qu'un bien peut être affecté à l'utilité publique par voie accessoire ; ainsi, d'un entrepôt à sel jugé nécessaire à l'entretien des rues, auquel les municipalités se doivent 2255 .

1393. On s'appuie sur la loi constitutive ou la charte de ces institutions ou établissements pour analyser ces questions. Ainsi, on a vu dans les pouvoirs d'aliénation contenus dans ces lois ou chartes une indication du caractère relatif des effets de l'appartenance d'un bien au domaine public. Un centre hospitalier est une personne morale de droit public 2256 . Néanmoins, on a jugé que l' article 260 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux 2257 , en permettant au centre d'hypothéquer un immeuble, permettait, implicitement et du même coup, la naissance d'hypothèques légales sur cet immeuble 2258 . Sans doute le centre hospitalier doit obtenir l'autorisation du Conseil du trésor avant de constituer une hypothèque conventionnelle, mais l'accord donné par le Conseil du trésor aux travaux de construction équivaut, pour l'hypothèque légale du domaine de la construction, à telle autorisation 2259 . Une commission scolaire est aussi une personne morale de droit public 2260 . Cependant, l' article 272 de la Loi sur l'instruction publique 2261 permet à une commission scolaire d'hypothéquer ses immeubles. On en conclut qu'une école appartenant à une commission scolaire peut faire l'objet d'une hypothèque légale 2262 , pour cette raison et aussi parce que la commission scolaire peut l'aliéner : ce bien ne fait donc pas partie du domaine public ou peut cesser d'en faire partie. On a tenu le même raisonnement à propos d'une école constituée par lettres patentes émises en vertu de la Loi sur l'Université du Québec 2263 : elle a le pouvoir d'aliéner et d'hypothéquer ses biens. D'autre part, la destination des bâtiments d'école n'est pas suffisamment générale pour conclure à une affectation à l'utilité du public : si le mot « public » s'entend parfois d'un sous-groupe de la population générale, il ne réfère pas à un sous- groupe sélect qui doit répondre à des critères particuliers pour avoir accès aux bâtiments en question 2264 .

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